Le crépuscule de l'Homme

Les obus semblaient provenir des entrailles même du ciel écartelé dont ils crevaient le manteau de nuages noirâtres. Comme pour faire croire qu’ils n’étaient pas dangereux, ils planaient doucement dans les airs avec un bourdonnement d’insecte puis explosaient de fureur dans un bruit de tonnerre en effleurant à peine un sol déjà transpercé comme un gruyère rassis. Les hommes traqués qui avaient malencontreusement été sur la trajectoire de ces suppositoires de la mort se retrouvaient en une fraction de seconde à l’état de puzzle dont il manquerait les morceaux qui avaient été réduits en bouillie.
Soudain, le silence. Une faible brise se leva, une petite brise tout juste assez forte pour soulever de terre la puanteur de cet immense réservoir de viandes pourries. Le soleil, dans son crépuscule, semblait lui aussi avoir été atteint par les armes de la sauvagerie humaines, saignant sur une Terre où se mélangeait déjà le sang et la chair des héros déchus avec le sol boueux du champ de bataille devenu lieu de pèlerinage pour les morts-vivant rescapés de ce colossal jeu d’échec que s’étaient disputés de grands personnages à l’âme pervertie par trop de pouvoir et d'avidité.