2 août 2007
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22:54
| Episode 5 |
Graig avait directement rejoint ses associés après avoir quitté Cobra. Ceux-ci avaient poursuivi leur enquête durant son absence, malheureusement ils ne purent lui apprendre grand-chose de neuf à son retour. Les seules certitudes déduites de leurs analyses des différents cambriolages se résumaient en bien peu de choses : on ne savait avec exactitude que ce qui avait été volé et personne avait la moindre idée sur les moyens utilisés par les cambrioleurs pour entrer et ressortir aussi facilement.
- Même topo pour les personnes disparues, elles étaient toutes sans histoires, se rendaient soit sur leur lieu de travail, soit sur les lieux de leurs loisirs pour les civils, en permission ou tout simplement en ville pour les soldats. Elles n'ont laissé aucune trace, comme si elles s'étaient évaporées dans les airs. C'est incroyable et surtout rasant. Impossible de trouver le moindre indice, le moindre lien entre les personnes disparues, à part le fait qu'elles habitaient toutes dans les mêmes régions. Même la Patrouille est dans le brouillard et finit par boucler les dossiers faute de pistes concrètes, fit Geln en guise de résumé de la situation.
Décidément, leur première affaire s'annonçait mal. Ils n'avaient vraiment pas besoins de ça. S'ils ne parvenaient pas à quelque chose, personne ne ferait plus confiance à leur agence à l'avenir. Il leur était crucial de trouver un début de piste, mais voilà, comment ? Graig n'arrêtait pas de se le demander depuis qu'il avait atterri sur Zinal.
- Sékor vient d'arriver, lança Ebor entré dans le poste de commande en coup de vent. Peut-être qu'il aura quelque chose de nouveau à nous apprendre. Il a été enquêté sur le dernier vol qui a eu lieu il y a une semaine sur la base d'Inan.
Le rapport de leur compagnon ne leur sembla malheureusement pas très nouveau, à part un petit détail peut-être. En effet, les cambrioleurs avaient fracturé la porte d'un dépôt tout juste vidé de son contenu sur un ordre de dernière minute.
- Je me suis renseigné sur l'armement qui y avait été entreposé, fit Sékor, il s'agit de navettes super équipées, de véritables engins de guerre, maniables et capables de s'infiltrer partout. Elles étaient destinées à la Patrouille pour être utilisées dans les zones proches des Territoires Interdits.
- Et tu sais où elles ont été déplacées ? demanda Graig dont le regard s'était soudain éclairé.
- Oui, sur la base d'Ilma où on leur fera faire des tests supplémentaires, pourquoi ?
Mais au lieu de lui donner une réponse, son compagnon enclencha le visiophone et tabula le code la base militaire. Il dut faire des pieds et des mains pour qu'on veuille bien le mettre en rapport avec le commandant de la base, l'officier sur lequel il était tombé refusant obstinément de passer la communication sans connaître le motif de cet appel. A force de persévérance, il réussit tout de même à avoir sa secrétaire sur l'écran. Dernier bastion, celle-ci vérifia son identité avant de finalement accéder à son désir et transmettre l'appel à son supérieur. Dans la main une fiche signalétique fournie à sa demande par l'ordinateur de la Patrouille, le colonel Ziord l'accueillit d'un oeil circonspect, curieux de savoir ce qu'il pouvait bien lui vouloir. Son manque d'enthousiasme était évident mais Graig préféra ne pas en tenir compte. Sans autre préambule, il se présenta avant d’enchaîner sur une brève explication des activités de son agence et le projet dont il venait d'avoir l'idée.
- Si les voleurs qui se sont introduits dans la base d'Ilnan ont fracturé cet entrepôt, c'était très certainement parce qu'ils en connaissaient d'avance le contenu, mais un contretemps les a empêchés d'entrer en possession de ces véhicules et c'est ce qui m'a donné une idée. Si on leur faisait croire que d'autres ont réussi là où ils ont échoués tout en répandant l'idée que quelqu'un aurait des engins de l'armée à vendre, ils pourraient très bien s'y intéresser et prendre contact. On pourrait ainsi entrer dans leur organisation, voir de quoi il retourne et les arrêter.
Ziord ne dit rien, se contentant de fixer l'écran en caressant sa barbe d'un air pensif. Si ce plan aboutissait, il en retirerait certainement quelques galons de plus, mais si jamais il ratait, il aurait alors sciemment perdu de précieux engins top secrets. Une telle négligence lui vaudrait immanquablement un blâme qui pourrait bien l'envoyer finir ses jours dans une base miteuse du fin fond de la galaxie. A part lui avait averti son interlocuteur, personne ne devrait être au courant de cette opération afin de réduire les risques de fuite au maximum. Il lui fallait donc prendre seul et pratiquement tout de suite une décision, les véhicules devant être transférés dans moins de quelques jours maintenant. Il avait beau tourner et retourner la question dans sa tête, il ne savait pas trop que répondre. Pouvait-il faire confiance à cette jeune agence de mercenaires ? L'air décidé et sûr de lui de l'homme qui l'avait contacté l'incitait à le croire. Et puis, n'avait-il pas été patrouilleur avant de devenir l'un des chefs rebelles lors de la guerre contre Brainmad ?....
- C'est entendu, lâcha-t-il dans un souffle, mais je tiens à ce que vous preniez votre part de responsabilité si jamais votre plan échouait et je ne vous laisserai emporter que deux navettes sur quatre pour limiter les dégâts.
Graig jubilait. Il allait enfin arriver à quelque chose de concret. Le temps était une denrée trop précieuse pour le perdre en attente inutile et, tout naturellement, leur discussion s’orienta sur la mise au point d'un plan simple mais efficace. En quelques phrases, le colonel se chargea de leur communiquer les heures de rondes, le nombre et le type de systèmes de sécurité en place dans la base, l'endroit exact où se trouvaient les véhicules, le nombre de gardes ainsi que d'autres renseignements utiles. Parvenu au bout de sa « check list », il leur donna carte blanche sur la manière dont ils allaient procéder sur place tout en espérant ne pas être en train de faire une grosse bêtise.
Les quatre hommes n'avaient devant eux qu'une cinquantaine d’heures pour se préparer à l'opération. Ne pouvant rien laisser au hasard, ils commencèrent par apprendre par cœur le plan de la base et les renseignements généreusement fournis par le colonel puis, ensemble, ils mirent précisément au point ce que chacun aurait à faire et quand ils auraient à le faire. Graig devait avouer que d'avoir participé aux opérations menées par Cobra les avaient tous rendu plus à même de mettre au point, relativement vite, les détails d'un plan qui avait de grandes chances de ne pas avorter lamentablement.
Ilnan et Zinal faisaient partie de systèmes solaires plutôt proches à l’échelle de l’univers, malgré tout ils glissèrent de l’une à l’autre par l’un des couloirs intemporels de l'hyperespace, préférant ne pas arriver sur place au dernier moment. . Deux jours plus tard, ils étaient tous les quatre aux abords de la base, prêts à passer à l'action. Sans dévier un seul instant de leur plan, sans être ne serait-ce qu'une seconde en retard sur l'horaire préalablement établi, chacun mena à bien et presque d'une facilité déconcertante sa part de travail. Les systèmes d'alarme ne résonnèrent que lorsqu'ils s'enfuirent à l'intérieur des navettes de combat, mais il était déjà trop tard : ils avaient réussi.
Lui aussi réveillé par tout ce vacarme, le colonel regarda les deux engins filer dans la nuit avec un petit sourire.
- Bonne chance, murmura-t-il.
**********
Tout juste de rentré de Niran, c'est avec un certain plaisir qu'il s'apprêtait à se laisser choir dans son fauteuil lorsque l'intercom se mit à sonner avec insistance. Excédé de ne pas avoir eu ne serait-ce qu'une minute pour reprendre son souffle, Alen lui jeta un regard noir avant de tendre de mauvaise grâce la main vers l'interrupteur, sachant pertinemment que, sinon, il poursuivrait ses appels incessants.
- Un nouveau laboratoire a été attaqué durant notre absence, fit Nekar tout de go. Mais cette fois ils ne se sont pas contentés des appareils, ils ont en plus emmené tous les scientifiques qui s'y trouvaient.
Alen poussa un léger soupir. Il commençait à en avoir assez d'entendre tous les jours le même refrain.
- Ca n'en fera qu'un de plus, lâcha-t-il d'un ton las.
- Pas tout à fait, répliqua son second d'un air réjoui. Cette fois, nous avons réussi à arrêter un officier de la garde du laboratoire qui semble avoir pris une part importante dans le déroulement du cambriolage et de l'enlèvement...
S'il ne put ajouter un mot de plus, coupé dans son élan par une image holographique subitement vide, l'arrivée en coup de vent de son supérieur dans les locaux de garde-à-vue moins d'une dizaine de minutes plus tard lui fit garder en mémoire les détails de son exposé.
- Où est-il ? avait lâché Alen le sas à peine franchi.
Nékar fit un simple signe de tête en direction de la vitre qui couvrait une partie de la paroi. Au fond de la cellule, il découvrit un jeune homme tout juste sorti de l’école d’officiers entouré d’une infirmière et d’un médecin.
- Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
- Les médecins n'en n'ont pas la moindre idée. Malgré toutes leurs analyses, ils ne parviennent pas à donner un diagnostique. A mon avis, poursuivit-il, on a pu l'avoir parce qu'il était dans cet état. Lorsqu'on l'a trouvé, il était couché au milieu d'un couloir, se tordant de douleur et divaguant complètement. A force d'écouter ce qu'il disait on en a déduit qu'il avait dû participer à l'opération, mais pour le reste, on n'arrive pas à le comprendre.
- On ne peut pas le soigner ?
Nékar secoua la tête.
- Selon les docteurs, il n'en aurait plus pour très longtemps.
- Et il est impossible d'en savoir plus ?
Son air sombre suffit à lui donner une réponse. Alen laissa échapper un soupir de découragement. Décidément, la chance n'était pas avec eux. Alors qu'ils parvenaient enfin à arrêter l'un de ceux qui poursuivaient leurs méfaits depuis des mois dans la plus grande impunité, voilà que leur prisonnier allait mourir entre leurs mains sans qu'ils en sachent plus long.
Un instant encore, il observa le jeune officier d'un oeil songeur puis, se rendant bien compte qu'il ne servait à rien de rester ici plus longtemps, il décida de retourner dans son bureau afin de remettre une fois de plus le nez dans les volumineux dossiers que remplissaient déjà cette affaire. Il était en train de tourner et retourner cette histoire dans tous les sens avec désormais une question de plus à résoudre : « de quoi pouvait bien souffrir le seul homme qu'ils aient capturé », lorsque sa secrétaire l'avertit de la volonté de l'amiral de le voir au plus tôt dans son bureau. Loin d'être réjouit par la nouvelle, une mine ennuyée se dessina sur son visage tandis qu’il se levait pour quitter son antre. Il espérait vraiment que son supérieur ne l'appelait pas pour savoir si son enquête avait avancée, car il ne saurait alors pas quoi lui répondre.
- Je viens de parler avec le Président des deux Conseils, lança l'amiral le sas à peine refermé sur son visiteur. Il a décidé d'essayer de voir si la théorie que je vous ai déjà présentée était bonne et, pour se faire, il a engagé un vieil ami à vous : Cobra.
Alen tombait des nues. Mark aurait accepté de travailler dans le sens de la police ? Voilà qui était nouveau.
- Quel est son plan ? demanda-t-il curieux.
- Comme les innombrables évasions de ces derniers mois ne portent pratiquement que sur des spécialistes, ils ont décidé que notre cher pirate irait en prison attendre qu'on vienne le faire évader, ce qui lui donnerait l’occasion d’entrer dans cette fameuse organisation...si elle existe.
Un léger silence s'installa entre les deux hommes, silence rompu le premier par Alen.
- Finalement, ça arrangerait bien nos affaires si ça aboutissait à quelque chose.
- Le Président ne veut pas que cette histoire sorte de ce bureau, il l'a bien précisé, avertit Baker. Il ne tient pas à ce que des fuites fassent tomber son projet à l'eau.
- Devrons-nous intervenir à un moment où à un autre ?
L'amiral fit un signe négatif de la tête.
- Non, pas tant que Cobra n'aura pas apporté des preuves concrètes sur l'existence de cette organisation. Mais de toute façon, si cela devait arriver, je pense que vous seriez le premier informé, termina-t-il en regardant ostensiblement vers le bras de son colonel.
Alen savait ce qu'il entendait par là. Après l'affaire de Tritarnia, Mark n'avait pas jugé bon de récupérer le brassard jumeau au sien qu'il lui avait prêté. Depuis, il le portait toujours à son bras, lien invisible mais constant avec le Phoenix et son propriétaire.
- Je le suppose..., fit-il à mi-voix, la tête ailleurs.
Pourquoi diable Cobra avait-il si facilement accepté de se faire arrêter ? Cette question ne cessait de le turlupiner. Lui et le Président ne s'était jamais rencontrés en particulier avant cette affaire, il en était certain, alors pourquoi lui faisait-il autant confiance ? Cela le dépassait. Il pensait le connaître assez pour savoir qu'il se méfiait d'ordinaire toujours de tout le monde et cette attitude le dérangeait un peu. Peut-être, au fond de lui, était-¬il tout simplement un peu jaloux. En dehors de Lana, il avait toujours été la seule personne en qui il avait une confiance presque aveugle et réciproquement. Quelque part, ça le gênait qu'il s’en remette aussi facilement à un inconnu.
Se rendant compte de la teneur de ses pensées, il sourit, se disant qu'il était stupide et que Mark savait très certainement ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait. Lui n'avait pas besoin d'en savoir d'avantage et puis, de toute façon, il l'apprendrait bien tôt ou tard.
- Et votre enquête, elle avance ?
Alen eut un léger sursaut, tiré de ses pensées.
- On m'a dit que vous aviez réussi à arrêter quelqu'un ? poursuivit Barker.
Il eut une petite moue ennuyée. Il aurait préféré ne pas devoir parler de cette affaire pour l'instant.
- C'est exact, répondit-il dans un soupir, mais il est mal en point et les médecins affirment qu'il n'en a plus pour longtemps.
- Qu'est-ce qu'il a ? Il a été blessé ?
- Non, mais il souffre d'un mal que les docteurs ne sont pas en mesure de diagnostiquer et, malheureusement pour nous, il est incapable de répondre à nos questions.
- Voilà qui est fâcheux, commenta simplement l'amiral tandis que le patrouilleur glissait déjà vers le sas, préférant ne pas devoir s'étaler sur le sujet.
Alen était plus pressé qu'à l'ordinaire lorsqu'il sortit de l'énorme immeuble de la Patrouille de l'espace. Une furieuse envie l'avait pris dans la journée : passer deux jours entiers avec sa femme et son fils qu'il n'avait pas eu l'occasion de revoir depuis plus de trois semaines. Bien sûr, ce n'était pas le travail qui manquait et ce petit interlude n'arrivait peut-être pas au meilleur moment, mais il sentait que s'il ne s'éloignait pas un peu, cette affaire finirait par le faire tourner en bourrique et il lui avait paru judicieux d'aller se ressourcer un peu auprès des siens.
Préférant ne pas les voir confier à des étrangers, Mark lui avait demandé de s'occuper de Benji et de Sania à la mort de Lana. Sans l'accord du Grand Conseil, poussé par Soltar et tout le poids du Territoire terrien, il n'aurait probablement pas pu accéder à ce désir, mais celui-ci n'avait heureusement vu aucune objection à ce qu’ils s'occupent, avec sa femme, de l'éducation du futur empereur des Territoires de Zoltan. Depuis, ils vivaient tous ensemble dans sa propriété. Ce déménagement l'arrangeait assez. De part sa situation, Zolan se trouvait rarement très loin des zones où il avait généralement à travailler, ce qui lui permettait de ne jamais rester plus d'un mois sans revoir sa petite famille.
Un saut à travers la dimension de l'hyperespace avait rendu le voyage vers la capitale des plus rapides et c'est sur un spatioport privé construit à cinq kilomètres de la résidence qu'il alla poser son vaisseau. Il venait tout juste d'en sortir lorsque le bruit d'un second appareil lui fit lever la tête.
- Mark, murmura-t-il en s'arrêtant.
Le Phoenix se posa lentement à côté de son propre appareil puis la rampe d'accès glissa, silencieuse, vers le sol. Serait-il venu sans l'affaire de la prison ? Il n'avait pu s'empêcher de se le demander en découvrant sa silhouette derrière le sas à peine disparu. Cela était-il vraiment important ? Cette histoire risquait fort de le tenir longtemps éloigner de son fils et de Sania, alors tant mieux si le spectre d'une séparation de peut-être plusieurs mois encore l'avait finalement décidé à venir leur rendre visite.
Partis dans la même navette de terre vers l'imposante résidence, les deux hommes n'échangèrent pas plus deux mots durant le chemin, mais ce silence ne les dérangeait pas. Quelques minutes de vol les laissèrent devant le perron où ils abandonnèrent leur véhicule avant de partir en direction des jardins sans même y réfléchir. L'été avait pris ses quartiers depuis déjà plusieurs jours, il était donc assez logique que les hôtes du château profitent de son merveilleux parc.
Un seul regard sur les jardins suffit à confirmer leur idée. Non loin d'Ancella couchée à l'ombre de la terrasse, Mark junior se baladait dans sa voiture magnétique, petit engin en suspension à une dizaine de centimètres du sol, tandis que Benji et Sania faisaient un combat aérien avec les modèles réduits hautement perfectionnés qu'ils venaient de recevoir.
A la seconde où ils s'étaient rendu compte de sa présence, les deux enfants avaient lâché leur télécommande pour se précipiter vers leur père, laissant les mini-navettes à réactions piquer du nez avant d'aller lamentablement s'écraser dans la piscine. Aucun d'eux n'y prêta pourtant la moindre attention, préférant courir vers le pirate avec des cris de joie. Si Sania fut la première à lui sauter au cou, son frère y trouva lui aussi une place, tendre début de longues retrouvailles très appréciés par tous. La petite fille toujours dans ses bras, Mark finit malgré tout par reprendre le chemin de la terrasse, poursuivi par Benji qui ne cessait de lui tourner autour comme une mouche.
- Vous allez rester longtemps ? demanda Ancella alors qu'Alen s'amusait avec son fils.
- Deux jours.
- Pareil, enchaîna Mark sous les regards dépités des enfants qui avaient espéré le voir rester plus longtemps que ça.
Le repas du soir se passa dans une ambiance plus excitée que d'habitude. Junior tenait de grands discours dans un langage que lui seul devait comprendre, Benji et Sania ne quittaient plus leur père d'une semelle, bien décidés à profiter du peu de temps qu'il serait avec eux, tandis Ancella allait et venait en chantonnant le coeur léger, heureuse d'avoir enfin son mari auprès d'elle. S'ils semblaient toujours chercher à se croiser, leurs regards immanquablement suivis d'un léger sourire ne s’en remplissaient pas moins à chaque fois d'une infinie tendresse, petit manège que Mark observait d'un oeil mi-amusé, mi-nostalgique, ne pouvant s'empêcher, à les voir, ainsi de penser à sa propre femme.
Tout ici la lui rappelait d'ailleurs sans cesse, sensation qui lui avait fait autant que possible éviter cette maison depuis la mort de Lana. Benji et Sania y habitaient, malheureusement, et il était bien obligé d'y revenir de temps en temps.
La lune rosée d'une nuit piquée de milliers d'éclats d'étoiles dégageait un romantisme auquel Alen et Ancella n'avaient su résister. Pris par la même envie, ils s'éclipsèrent dès la fin du repas pour une promenade en amoureux dans les jardins de la propriété. Assis sur un transat au bord de la terrasse, Mark les regarda s'enfoncer dans la douce pénombre du parc une lueur de tristesse au fond des yeux, ombre passagère que ne manqua pourtant pas de remarquer Sania. Orpheline, elle le considérait comme son propre père depuis qu'il l'avait ramenée de Tritarnia et, détestant le savoir triste, elle finit par délaisser son dessert pour s’approcher de lui. Surpris par le baiser venu se déposer sur sa joue, il avait tourné la tête vers elle, ce à quoi elle répondit par un sourire avant de s'asseoir résolument sur ses genoux et passer un bras autour de son cou. Mark sourit à son tour. Sania ne parlait pas beaucoup, cela peut-être parce que durant près de deux ans elle s'était retrouvée muette suite à un choc émotionnel violent, mais elle avait appris à s'exprimer par son regard et par ses gestes et il appréciait ces marques d'affection muettes.
Non loin d'eux, assis sur la terrasse, Benji était en train d’essuyer consciencieusement les mini-navettes électroniques qu'il avait récupérées au fond de la piscine. Par chance, résistantes à l'eau, elles n'avaient pas été endommagées et il put très vite constater avec plaisir qu'elles étaient prêtes à l'emploi.
- On fait un combat de nuit ? lança-t-il en se tournant vers sa soeur.
Sania jeta un oeil interrogateur vers son père qui, d'un léger sourire la poussa à accepter.
En les observant jouer, Mark se rendit compte combien que tous deux avaient bien grandis depuis la dernière fois qu'il les avait vus. Benji allait doucement sur ses treize ans, âge considéré sur Talis comme le passage de l'enfant à l'homme et signifiait des participations plus régulières aux raids. Sania, elle, avait prit plusieurs centimètres, et ses cheveux effleuraient désormais ses épaules. Il ne restait rien de la petite fille apeurée qu'il avait vu pour la première fois. Telle une rose dans la douceur d'une serre, elle semblait s'épanouir à merveille dans un cadre qui apparemment lui apportait tout ce dont elle avait besoin. Junior, le fils d'Alen, avait lui aussi bien changé. Du haut de ses trois ans, il regardait déjà le monde d'un oeil avide de curiosité, ce qui le faisait trotter un peu partout au grand désespoir de sa mère constamment obligée d'aller le récupérer dans des endroits impossibles.
Voir ces enfants ainsi se métamorphoser de jour en jour lui rappelait à chacune de ses visites que, le temps ne s'arrêtant jamais, il valait mieux le précéder que sans cesse lui courir après.
Le reste de ce bien maigre congé se consuma sur le même ton calme et serein, mais le temps passa très vite, trop vite pensaient ceux qui n'avaient pas l'occasion de voir les deux hommes régulièrement.
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Texte soumis à la Société suisse des auteurs en 1990