25 septembre 2010
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Extrait 1 |
A ceux qui n'ont pas oublié leur rêves d'enfant (de l'auteur)
pour un achat
Parce que le temps était immuable, parce que tout avait déjà commencé et devrait se passer ainsi, jamais encore ils n’avaient eu à s’en soucier. Mais l’impensable venait de se produire. Quelque chose avait changé. Ils en avaient déjà ressenti les effets. Leur fallait-il intervenir ? En avaient-ils simplement le droit ? Ce n’était pas dans l’ordre des choses, pourtant ils étaient prêts à le faire. Rien ne devait interférer. L’éveil allait bientôt avoir lieu. Chaque destinée devait s’accomplir.
C’était ainsi. Il ne pouvait en être autrement.
Mark suivait d'un œil distrait les effets de la vitesse subluminique, volutes étranges et fascinantes qui glissaient le long des parois translu-cides du poste de contrôle. Il avait laissé les commandes à son ordina-teur de bord depuis la confirmation des coordonnées de son prochain rendez-vous. C’était le dernier moment pour compulser les données récemment intégrées dans le dossier de son futur client, mais sa con-centration n’avait pu rester longtemps attachée à ce flot d’informations. Bien malgré lui, son esprit s’était mis à vagabonder au travers de mille souvenirs qui tous, finissaient par le ramener à l'époque où la guerre avec l'empire drassorien avait pris fin.
Comme tout avait changé depuis, si vite. La transformation avait déjà de quoi donner le vertige, mais le plus étrange était ailleurs. Com-ment tout avait-il pu se transformer à ce point sans que personne puisse en expliquer les raisons ? C’était tellement irréel, impossible...
Tout avait commencé peu après la signature du traité de paix avec Drassoria. Des guerres, aussi subites qu'inattendues, avaient éclaté en cascade à travers toute l’Union, entraînant la majeure partie de la galaxie dans une sorte de folie collective. Seuls trois Territoires avaient pu rester en dehors de ces conflits insensés. Pour les autres, quelques mois à peine suffirent pour balayer les piliers de leurs institutions les plus anciennes. Qu’ils aient été démocratiques ou impériaux, les gouvernements avaient tous fini par se dissoudre, gangrenés de l’intérieur. Dans leur déroute, ils avaient emporté les armées régulières, laissant la Patrouille de l’espace face à une situation inextricable. Ultime garante de l’ordre, elle fit de son mieux pour assurer sa charge, mais c’était perdu d’avance. Prise dans une spirale d’autodestruction dont elle ne comprenait pas la cause, elle disparut à son tour, offrant la place à un chaos absolu. Sa dictature fut féroce. Privée de sécurité, de repères, la population avait dû très vite intégrer les nouvelles règles du jeu : ne plus compter que sur soi, savoir manier une arme et tout faire pour survivre.
Né dans un univers où il valait mieux imposer le respect, le con-cept était, à ses yeux, plutôt anodin. Il n’y trouva d’ailleurs pas de quoi changer sa manière de vivre. Tenir les problèmes à distance lui était routinier, et puis sa réputation s’était construite bien avant les évènements de ces derniers mois. Elle avait toujours su le précéder où qu'il se rende et personne ne s'était encore risqué à lui créer des ennuis.
Le nouveau visage de l’Union eut des répercussions bien au-delà de ses frontières, bousculant la vie de son ennemi héréditaire : Les Territoires Interdits. L’univers pirate avait dû gérer dans l’urgence la transformation de sa principale source de profit en un immense champ de bataille. Vouloir poursuivre ses activités dans des Territoires en guerre était devenu une gageure, il lui avait fallu s’adapter, même contre son gré.
Comme son monde d’origine, Mark avait dû s’y faire. Il avait beau vivre en marge de son clan depuis longtemps, il lui aurait été difficile d'échapper à la règle. Dès les premiers affrontements, la majeure partie des musées de la galaxie s’étaient retrouvés saccagés, pillés, vidés. Il existait des exceptions, il le savait, mais dépourvus de la plupart de leurs protections, il n'y avait plus aucun « sport » à s’y mesurer. Cambrioler sans l’adrénaline du risque était trop fade pour en ressentir encore l’envie. Et puis, de toute façon, les systèmes de valeur avaient bien changé. L’accès à l’énergie et la nourriture avait remplacé bijoux, œuvres d’art et pierres précieuses au rang des signes extérieurs de richesse. Dès le début du conflit, ces denrées étaient devenues des matières de première nécessité extrêmement coûteuses et c’est autour d’elles que les nouveaux trafics avaient fini par se reconstituer.
Quitte à devoir changer de métier, il s’était lancé dans le merce-nariat sans trop de remords après une rencontre fortuite avec quelques vieilles connaissances. Cette reconversion lui démontra très vite toute l’étendue de ses avantages. Non seulement elle lui permit de vivre assez confortablement mais, surtout, il était désormais en mesure de subvenir régulièrement tant aux besoins du Phoenix que de son ordinateur de bord. De classe I.A., cette petite merveille de la technologie bio-informatique était plutôt gourmande et il fallait assurer un apport d’énergie constant pour ne pas en être privé. C’était le prix à payer s’il voulait conserver en parfait état cet amoncellement de connexions qui était bien plus qu’une machine : c’était l’âme de son vaisseau. Parfaitement autonome, d’une puissance impressionnante et doté d’un caractère propre, Arak, puisque c’était son nom, était un atout précieux qu’il était hors de question de traiter avec légèreté.
— Je perçois l'écho d'au moins cinq appareils sur notre trajectoire. Dois-je décélérer ou changer de cap ?
Tiré des profondeurs de ses pensées, Mark jeta un vague regard vers l'écran de contrôle projeté à quelques mètres devant la console de commande. Une moue ennuyée se dessina sur son visage. Changer de cap leur ferait faire un bien grand détour pour rejoindre le lieu de son rendez-vous et décélérer le mettrait tout aussi en retard. Une rapide pesée du pour et du contre le décida finalement à opter pour la deuxième solution.
— Ralenti..., laissa-t-il échapper dans un léger soupir.
Les étranges couleurs qui avaient jusqu'alors enveloppé le Phoenix cédèrent peu à peu leur place à un univers net et sans bavure.
— Qu’est-ce qui les attire comme ça ? s’étonna-t-il en observant les données retransmises par le radar quadridimensionnel.
Cinq lueurs de petite taille, probablement des chasseurs, tour-noyaient comme des guêpes enragées autour d’un point plus consé-quent. Autant par curiosité que par prudence, il exigea un plan rapproché de la zone. Sitôt les caméras fixées sur l'objectif, une image holographique lui offrit, comme s’il y était, une scène pourtant à plusieurs minutes de vol.
— Tu connais ce type d'appareil ? demanda-t-il, intrigué par le combat qui se déroulait sous ses yeux.
La question à peine posée, Arak superposa un sigle dans l’image 3D.
— L'insigne de la Terre ? lança Mark avec surprise. Mais qu'est-ce qu'ils font par ici... ?
La Terre. Son Territoire était resté épargné par les guerres. Son histoire et sa position dans l’Union en étaient peut-être la cause. Immense, puissant, berceau de l’une des races parmi les plus anciennes des Territoires Unis et Interdits confondus, il était depuis toujours une pièce incontournable de l’échiquier galactique. Malgré cela, et parce qu’il mettait un point d’honneur à ce que cela soit ainsi, ses rapports avec les autres membres de l’Union étaient les plus rares possible.
Les yeux rivés sur l'écran 3D, Mark se demandait non sans une certaine curiosité ce que ces terriens pouvaient bien faire hors d'un Territoire qu'ils ne quittaient pourtant presque jamais.
— D'après mes senseurs, informa Arak, ce vaisseau ne possède aucune arme défensive ou offensive et si mes calculs sont exacts, ses déflecteurs ont déjà épuisé les deux tiers de leurs puissances.
Autant dire qu’il était perdu. Les cinq chasseurs attaquaient avec une telle hargne. La virulence de leurs assauts avait d’ailleurs de quoi intriguer. Qu'est-ce qui pouvait bien les pousser à s'en prendre ainsi à cet appareil ? Bien sûr, il venait de la Terre, mais à part cela, il ne semblait pas avoir une très grande valeur et Arak lui avait confirmé que le contenu de ses soutes était plutôt anodin.
— Allez, on y va ! ordonna-t-il finalement. Voilà une bonne se-maine qu'on n’a rien fait. Un peu d'exercice ne nous fera pas de mal.
Il prit les commandes. Les deux larges accoudoirs de son siège s’étaient ouverts sur le dessus, découvrant un espace empli d’un liquide gélatineux translucide, parcouru de mille couleurs qui glissaient en son sein tels des éclairs. Il y avait laissé sombrer ses avant-bras pour poser ses mains sur des sphères émeraude qui se moulèrent à leur forme exacte. Dès cet instant, il fut lié tant au vaisseau qu’à son ordinateur comme s’ils faisaient partie de son propre corps.
L’objectif repéré, il avait directement piqué sur les cinq assaillants. N’ayant pris aucune mesure de protection particulière, son approche fut vite remarquée. Trois appareils laissèrent tomber leurs attaques, prêts à faire face à cet intrus venu se mêler de leurs affaires.
Mark eut plus de mal qu'il ne l'aurait cru à se défaire de leur pré-sence. Leurs pilotes avaient de toute évidence une grande expérience et plusieurs tirs étaient déjà venus lourdement s’écraser contre le déflecteur du Phoenix. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de laisser l’avantage à qui que ce soit. Poussant son appareil aux limites de ses capacités de résistance, il enchaîna les voltiges, bien décidé à reprendre les choses en main.
— Maintenant, on va pouvoir s’amuser…, murmura-t-il d’un air satisfait en sentant la situation s’inverser.
Il aimait ces combats rapprochés, galvanisé par leur danger. L’erreur n’y avait pas sa place et les mauvaises décisions se payaient très cher. Face à des adversaires aussi pugnaces qu’intelligents, il dut user de ses tactiques les plus pointues. Précis et calculateur, il les laissa s’enliser dans un engrenage dont lui seul avait la clé. Ce fut le début de leur perte. Devenu le maître du jeu, Mark les amena là où il le voulait.
— Leurs boucliers sont au minimum, confirma Arak.
Il suffisait désormais de frapper juste et fort. Les trois salves sui-vantes furent d’une précision mortelle, emportant leurs cibles dans une destruction intégrale.
— Pas très courageux on dirait, se dit Mark en voyant les deux der-niers chasseurs décrocher sans chercher l’affrontement.
— J’ai une demande de communication, informa Arak.
— Accepte-la.
— Je ne sais comment vous remercier, fit un homme d'un certain âge dont la silhouette venait de s'inscrire sur l'écran holographique. Vous auriez pu passer votre chemin sans vous préoccuper de notre sort. Par les temps qui courent, offrir son aide est devenu bien rare… Serait-il possible de savoir à qui nous avons à faire ?
Mark sourit, amusé. Se faire traiter en sauveteur ne lui arrivait pas souvent.
— Mon nom est Cobra, répondit-il. Mais ne vous faites pas de fausses idées. Si vous aviez été armés, je ne m'en serais pas mêlé, affirma-t-il sans détour. Est-ce que vous avez besoin d’une escorte ?
— Merci de le proposer, mais ce ne sera pas la peine. Je pense que nous nous débrouillerons très bien maintenant.
— C'est comme vous voudrez ! répliqua-t-il dans un haussement d'épaules avant que le terrien ne coupe la communication en lui expri-mant une dernière fois toute sa reconnaissance.
L’hologramme disparu, Mark fixa le vaisseau par la paroi translu-cide d'un air pensif. Continuer un voyage sans arme et avec un déflecteur réduit presque au quart de ses capacités relevait du suicide, mais était-ce ses affaires ? Si ces gens voulaient prendre le risque, c'était leur problème. Il se contenta donc d’un léger soupir avant d’enclencher les commandes automatiques et laisser le soin à Arak de reprendre leur route vers Totasia, planète sur laquelle il avait rendez-vous.
Le système solaire TOX45 était loin des grands axes de commu-nication. Totasia, son unique planète, en recueillit un bénéfice que ses habitants n’auraient jamais imaginé durant toutes ces années où ils s’étaient plaints d’être à l'écart de tout. Épargnées par le plus gros des hostilités, leurs cités avaient pu garder leur intégrité et, surtout, deux des plus importants spatioports étaient toujours en état de fonctionnement.
Six heures après son intervention auprès du vaisseau terrien, le Phoenix se posa ainsi sur un tarmac à peu près intact. Les photo-réacteurs à peine éteints, Arak érigea une défense complète autour de l’appareil. Mark secoua la tête avec amusement. Son ordinateur avait usé de tous les moyens à sa disposition. S'il avait été humain, on aurait presque pu le qualifier de paranoïaque.
Il lui fallut un temps pour relier le spatioport au bar dans lequel il avait rendez-vous. Peu touchée par le vent de folie qui secouait la galaxie, Totasia s'était peu à peu transformée en un refuge providentiel vers lequel transhumaient des flots de réfugiés. Cet accueil massif n’avait pas été sans conséquence. Ses cités étaient surpeuplées, des logements de fortune avaient poussé dans l’anarchie la plus complète et plus personne ne respectait la moindre règle de circulation.
Au milieu de cette cacophonie générale, une seule option s'imposait : prendre son mal en patience. Mark eut beaucoup de peine à s’y soumettre. Il était déjà en retard et ce temps supplémentaire avait toutes les chances de mettre un terme à son prochain contrat. Non sans grommeler tout le bien qu’il pensait de la situation, il gara sa navette devant le bar et rejoignit l’entrée à grands pas. Le sas d'accès à peine franchi, il fut assailli par les odeurs mêlées d'alcool, de tabac et de sueurs, le tout saupoudré par les braillements des clients les plus éméchés. Il accueillit ces relents d'une moue rebutée. Le coin était plus glauque encore que lors de sa dernière visite.
— Il faut vraiment que je raye ce bar de la liste, se dit-il en se frayant un passage jusqu'au comptoir.
Sa commande lancée à un patron aussi débraillé que les clients qu'il servait, il balaya deux ou trois fois l'endroit du regard, espérant repérer l'homme avec lequel il avait rendez-vous. Avec près de quatre heures de retard sur l'horaire prévu, il ne se faisait plus trop d'illusions. Ne trouvant nulle trace de celui qu'il cherchait, il eut un geste d’agacement avant de demander pour la troisième fois un Vergor d'un ton qui trahissait sa mauvaise humeur.
Enfin, le barman se décida à venir poser devant lui une bouteille accompagnée d'un verre que personne n’avait jamais dû prendre la peine de laver. Mark poussa « la chose » de côté puis s'empara de la bouteille. Une fois débouchée, il la nettoya de la paume et en but une gorgée à même le goulot. Il s'apprêtait à la reposer lorsque des éclats de voix attirèrent son attention. Ce n'était pas tant la bagarre prête à éclater que cette intonation familière qui avait éveillé sa curiosité. Cherchant à en avoir le cœur net, il se retourna à l’instant où un corps d'homme en pleine voltige le prit pour cible. Obligé d'attraper la bouteille de Vergor au vol avant qu'elle ne se fasse écraser par cette masse graisseuse et alcoolisée, il jeta un œil excédé vers le responsable de ce possible gâchis.
Son regard avait directement plongé dans celui de l'importun. La reconnaissance fut immédiate. Un sourire indéfinissable se dessina sur ses lèvres tandis qu'il faisait un petit signe militaire en guise de salut. L’homme n'eut pas le temps de répondre, contraint d’esquiver la contre-attaque de celui qu'il avait projeté contre le bar et qui s'était déjà relevé.
La bagarre devint vite générale. L'excitation et l'alcool étaient une source de propagation parfaite. Au milieu des coups qui fusaient de partout, Mark fut bien obligé de s'y soumettre, personne n’ayant songé à lui demander son avis sur la question. Sans le vouloir, il se retrouva bientôt dos à dos avec celui qui, de toute évidence, était la cause première de tout ce remue-ménage.
— Alors, patrouilleur de mon cœur, toujours en vie ? lança-t-il d'un ton railleur. Dis-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que tu es à l’origine de cette petite fiesta…
— Je n'y peux rien si j'ai horreur d'être insulté par un tas de graisse imbibé d'alcool ! répliqua Alen d'un air furieux.
— Je ne sais pas si c'est dans le profond de ta nature ou si tu le fais exprès, reprit Mark après avoir décroché un solide coup de poing à un homme qui tenait absolument à lui casser une bouteille sur la tête, mais tu as vraiment le don de te fourrer dans des situations impossibles.
— Mais je te ferais remarquer..., rétorqua Alen sur le même ton tout en esquivant une chaise volante tout à fait identifiée, que dans ces moments-là tu n’es jamais très loin !
Mark avait vu juste en parlant de « situations impossibles ». La plupart des clients du bar s’étaient ligués contre eux. Cette animosité était plus due au fait qu'Alen portait toujours son uniforme de patrouilleur qu’au poing qu’il avait balancé dans la figure d’un de leurs compagnons de beuverie. Il faut dire que personne, ici, n'avait jamais eu beaucoup d’affinités avec la Patrouille de l'espace. Le déséquilibre des forces était flagrant et, à leur place, beaucoup se seraient fait du souci. Ni l’un ni l’autre, pourtant, ne s’en préoccupa réellement. La force de l’habitude, peut-être.
La bagarre allait bon train et Mark s'amusait beaucoup. La faible pesanteur de la planète lui permettait quelques déplacements et autres acrobaties plutôt déroutants pour ceux qui tentaient de s'en prendre à lui. Cette technique de combat l'avait vite gratifié d'un avantage constant sur ses adversaires, avantage qui ne faisait que redoubler leur fureur et leur désir d’y mettre un terme.
Affirmer que tous les clients du bar s’étaient laissé emporter par l’embrasement général aurait été un mensonge. Près de la porte, un homme était resté assis à regarder la scène avec indifférence. Son évi-ente apathie avait, en soi, déjà quelque chose d’étonnant, mais le plus curieux était ailleurs. Comment ne pas relever ces deux détails ? Il portait une tenue militaire noir argenté, chose rare en ces temps troublés où l'uniforme était un véritable appel à l’agression, et son front arborait une sorte de cristal aux éclats rouge sang.
Étrange et fascinante, cette pierre incrustée au sein de sa peau n’avait rien d’un simple élément d’apparat. Grâce à elle, à des années lumières de là, quelqu'un d'autre fut en mesure d'assister aux mêmes évènements comme s’il y était.
— Qui est-ce ? demanda une voix caverneuse tandis que le corps de Cobra se projetait en trois dimensions au milieu d'une pièce sombre, très grande, de forme circulaire.
Un homme, portant lui aussi un uniforme noir argenté et un cris-tal sur le front, se tourna vers la sphère opaque d'où provenait la voix avant de considérer l'hologramme sans beaucoup d’intérêt.
— Il s'agit d'un pirate qui se fait appeler Cobra, répondit-il en-suite. Depuis la chute de l’Union, il s'est recyclé dans le mercenariat. Comme voleur, il avait une assez grosse carrure, reprit-il au bout d’un bref silence. Il a participé à la guerre contre Drassoria il y a plus d’un an. On dit qu’il a été l’une des causes de la défaite de l'empire.
— Intéressant..., murmura la voix. Très intéressant…
L'hologramme disparut tandis que la sphère reprenait ses ques-tions.
— Où en est-on avec les terriens ?
Bogus fit une moue ennuyée.
— Nous n’avons pas réussi à récupérer la première partie de l'installation. Un vaisseau est venu à leur secours alors que nous allions les aborder et nos hommes ont dû abandonner l'attaque.
— Un seul appareil a pu retourner une situation qui était pourtant en notre faveur ? répéta la voix de toute évidence agacée.
— Il ne s'agissait pas de n'importe quel vaisseau, se défendit Bo-gus. C'était le Phoenix... il appartient à Cobra.
— Décidément, ce pirate est très intéressant..., murmura la voix, songeuse. Très bien, reprit-elle ensuite d’un ton sec. Fais en sorte que ce contretemps n’empêche pas la préparation de la seconde phase des opérations. Les terriens vont bientôt transporter la plus importante partie de l'installation, alors je compte sur toi pour ne pas rater cette mission. Il nous la faut absolument. Je te préviens, je n'accepterai pas aussi facilement un nouvel échec de ta part.
Bogus s'inclina avec respect puis sortit de la salle sans plus attendre.
C’était ainsi. Il ne pouvait en être autrement.
Mark suivait d'un œil distrait les effets de la vitesse subluminique, volutes étranges et fascinantes qui glissaient le long des parois translu-cides du poste de contrôle. Il avait laissé les commandes à son ordina-teur de bord depuis la confirmation des coordonnées de son prochain rendez-vous. C’était le dernier moment pour compulser les données récemment intégrées dans le dossier de son futur client, mais sa con-centration n’avait pu rester longtemps attachée à ce flot d’informations. Bien malgré lui, son esprit s’était mis à vagabonder au travers de mille souvenirs qui tous, finissaient par le ramener à l'époque où la guerre avec l'empire drassorien avait pris fin.
Comme tout avait changé depuis, si vite. La transformation avait déjà de quoi donner le vertige, mais le plus étrange était ailleurs. Com-ment tout avait-il pu se transformer à ce point sans que personne puisse en expliquer les raisons ? C’était tellement irréel, impossible...
Tout avait commencé peu après la signature du traité de paix avec Drassoria. Des guerres, aussi subites qu'inattendues, avaient éclaté en cascade à travers toute l’Union, entraînant la majeure partie de la galaxie dans une sorte de folie collective. Seuls trois Territoires avaient pu rester en dehors de ces conflits insensés. Pour les autres, quelques mois à peine suffirent pour balayer les piliers de leurs institutions les plus anciennes. Qu’ils aient été démocratiques ou impériaux, les gouvernements avaient tous fini par se dissoudre, gangrenés de l’intérieur. Dans leur déroute, ils avaient emporté les armées régulières, laissant la Patrouille de l’espace face à une situation inextricable. Ultime garante de l’ordre, elle fit de son mieux pour assurer sa charge, mais c’était perdu d’avance. Prise dans une spirale d’autodestruction dont elle ne comprenait pas la cause, elle disparut à son tour, offrant la place à un chaos absolu. Sa dictature fut féroce. Privée de sécurité, de repères, la population avait dû très vite intégrer les nouvelles règles du jeu : ne plus compter que sur soi, savoir manier une arme et tout faire pour survivre.
Né dans un univers où il valait mieux imposer le respect, le con-cept était, à ses yeux, plutôt anodin. Il n’y trouva d’ailleurs pas de quoi changer sa manière de vivre. Tenir les problèmes à distance lui était routinier, et puis sa réputation s’était construite bien avant les évènements de ces derniers mois. Elle avait toujours su le précéder où qu'il se rende et personne ne s'était encore risqué à lui créer des ennuis.
Le nouveau visage de l’Union eut des répercussions bien au-delà de ses frontières, bousculant la vie de son ennemi héréditaire : Les Territoires Interdits. L’univers pirate avait dû gérer dans l’urgence la transformation de sa principale source de profit en un immense champ de bataille. Vouloir poursuivre ses activités dans des Territoires en guerre était devenu une gageure, il lui avait fallu s’adapter, même contre son gré.
Comme son monde d’origine, Mark avait dû s’y faire. Il avait beau vivre en marge de son clan depuis longtemps, il lui aurait été difficile d'échapper à la règle. Dès les premiers affrontements, la majeure partie des musées de la galaxie s’étaient retrouvés saccagés, pillés, vidés. Il existait des exceptions, il le savait, mais dépourvus de la plupart de leurs protections, il n'y avait plus aucun « sport » à s’y mesurer. Cambrioler sans l’adrénaline du risque était trop fade pour en ressentir encore l’envie. Et puis, de toute façon, les systèmes de valeur avaient bien changé. L’accès à l’énergie et la nourriture avait remplacé bijoux, œuvres d’art et pierres précieuses au rang des signes extérieurs de richesse. Dès le début du conflit, ces denrées étaient devenues des matières de première nécessité extrêmement coûteuses et c’est autour d’elles que les nouveaux trafics avaient fini par se reconstituer.
Quitte à devoir changer de métier, il s’était lancé dans le merce-nariat sans trop de remords après une rencontre fortuite avec quelques vieilles connaissances. Cette reconversion lui démontra très vite toute l’étendue de ses avantages. Non seulement elle lui permit de vivre assez confortablement mais, surtout, il était désormais en mesure de subvenir régulièrement tant aux besoins du Phoenix que de son ordinateur de bord. De classe I.A., cette petite merveille de la technologie bio-informatique était plutôt gourmande et il fallait assurer un apport d’énergie constant pour ne pas en être privé. C’était le prix à payer s’il voulait conserver en parfait état cet amoncellement de connexions qui était bien plus qu’une machine : c’était l’âme de son vaisseau. Parfaitement autonome, d’une puissance impressionnante et doté d’un caractère propre, Arak, puisque c’était son nom, était un atout précieux qu’il était hors de question de traiter avec légèreté.
— Je perçois l'écho d'au moins cinq appareils sur notre trajectoire. Dois-je décélérer ou changer de cap ?
Tiré des profondeurs de ses pensées, Mark jeta un vague regard vers l'écran de contrôle projeté à quelques mètres devant la console de commande. Une moue ennuyée se dessina sur son visage. Changer de cap leur ferait faire un bien grand détour pour rejoindre le lieu de son rendez-vous et décélérer le mettrait tout aussi en retard. Une rapide pesée du pour et du contre le décida finalement à opter pour la deuxième solution.
— Ralenti..., laissa-t-il échapper dans un léger soupir.
Les étranges couleurs qui avaient jusqu'alors enveloppé le Phoenix cédèrent peu à peu leur place à un univers net et sans bavure.
— Qu’est-ce qui les attire comme ça ? s’étonna-t-il en observant les données retransmises par le radar quadridimensionnel.
Cinq lueurs de petite taille, probablement des chasseurs, tour-noyaient comme des guêpes enragées autour d’un point plus consé-quent. Autant par curiosité que par prudence, il exigea un plan rapproché de la zone. Sitôt les caméras fixées sur l'objectif, une image holographique lui offrit, comme s’il y était, une scène pourtant à plusieurs minutes de vol.
— Tu connais ce type d'appareil ? demanda-t-il, intrigué par le combat qui se déroulait sous ses yeux.
La question à peine posée, Arak superposa un sigle dans l’image 3D.
— L'insigne de la Terre ? lança Mark avec surprise. Mais qu'est-ce qu'ils font par ici... ?
La Terre. Son Territoire était resté épargné par les guerres. Son histoire et sa position dans l’Union en étaient peut-être la cause. Immense, puissant, berceau de l’une des races parmi les plus anciennes des Territoires Unis et Interdits confondus, il était depuis toujours une pièce incontournable de l’échiquier galactique. Malgré cela, et parce qu’il mettait un point d’honneur à ce que cela soit ainsi, ses rapports avec les autres membres de l’Union étaient les plus rares possible.
Les yeux rivés sur l'écran 3D, Mark se demandait non sans une certaine curiosité ce que ces terriens pouvaient bien faire hors d'un Territoire qu'ils ne quittaient pourtant presque jamais.
— D'après mes senseurs, informa Arak, ce vaisseau ne possède aucune arme défensive ou offensive et si mes calculs sont exacts, ses déflecteurs ont déjà épuisé les deux tiers de leurs puissances.
Autant dire qu’il était perdu. Les cinq chasseurs attaquaient avec une telle hargne. La virulence de leurs assauts avait d’ailleurs de quoi intriguer. Qu'est-ce qui pouvait bien les pousser à s'en prendre ainsi à cet appareil ? Bien sûr, il venait de la Terre, mais à part cela, il ne semblait pas avoir une très grande valeur et Arak lui avait confirmé que le contenu de ses soutes était plutôt anodin.
— Allez, on y va ! ordonna-t-il finalement. Voilà une bonne se-maine qu'on n’a rien fait. Un peu d'exercice ne nous fera pas de mal.
Il prit les commandes. Les deux larges accoudoirs de son siège s’étaient ouverts sur le dessus, découvrant un espace empli d’un liquide gélatineux translucide, parcouru de mille couleurs qui glissaient en son sein tels des éclairs. Il y avait laissé sombrer ses avant-bras pour poser ses mains sur des sphères émeraude qui se moulèrent à leur forme exacte. Dès cet instant, il fut lié tant au vaisseau qu’à son ordinateur comme s’ils faisaient partie de son propre corps.
L’objectif repéré, il avait directement piqué sur les cinq assaillants. N’ayant pris aucune mesure de protection particulière, son approche fut vite remarquée. Trois appareils laissèrent tomber leurs attaques, prêts à faire face à cet intrus venu se mêler de leurs affaires.
Mark eut plus de mal qu'il ne l'aurait cru à se défaire de leur pré-sence. Leurs pilotes avaient de toute évidence une grande expérience et plusieurs tirs étaient déjà venus lourdement s’écraser contre le déflecteur du Phoenix. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de laisser l’avantage à qui que ce soit. Poussant son appareil aux limites de ses capacités de résistance, il enchaîna les voltiges, bien décidé à reprendre les choses en main.
— Maintenant, on va pouvoir s’amuser…, murmura-t-il d’un air satisfait en sentant la situation s’inverser.
Il aimait ces combats rapprochés, galvanisé par leur danger. L’erreur n’y avait pas sa place et les mauvaises décisions se payaient très cher. Face à des adversaires aussi pugnaces qu’intelligents, il dut user de ses tactiques les plus pointues. Précis et calculateur, il les laissa s’enliser dans un engrenage dont lui seul avait la clé. Ce fut le début de leur perte. Devenu le maître du jeu, Mark les amena là où il le voulait.
— Leurs boucliers sont au minimum, confirma Arak.
Il suffisait désormais de frapper juste et fort. Les trois salves sui-vantes furent d’une précision mortelle, emportant leurs cibles dans une destruction intégrale.
— Pas très courageux on dirait, se dit Mark en voyant les deux der-niers chasseurs décrocher sans chercher l’affrontement.
— J’ai une demande de communication, informa Arak.
— Accepte-la.
— Je ne sais comment vous remercier, fit un homme d'un certain âge dont la silhouette venait de s'inscrire sur l'écran holographique. Vous auriez pu passer votre chemin sans vous préoccuper de notre sort. Par les temps qui courent, offrir son aide est devenu bien rare… Serait-il possible de savoir à qui nous avons à faire ?
Mark sourit, amusé. Se faire traiter en sauveteur ne lui arrivait pas souvent.
— Mon nom est Cobra, répondit-il. Mais ne vous faites pas de fausses idées. Si vous aviez été armés, je ne m'en serais pas mêlé, affirma-t-il sans détour. Est-ce que vous avez besoin d’une escorte ?
— Merci de le proposer, mais ce ne sera pas la peine. Je pense que nous nous débrouillerons très bien maintenant.
— C'est comme vous voudrez ! répliqua-t-il dans un haussement d'épaules avant que le terrien ne coupe la communication en lui expri-mant une dernière fois toute sa reconnaissance.
L’hologramme disparu, Mark fixa le vaisseau par la paroi translu-cide d'un air pensif. Continuer un voyage sans arme et avec un déflecteur réduit presque au quart de ses capacités relevait du suicide, mais était-ce ses affaires ? Si ces gens voulaient prendre le risque, c'était leur problème. Il se contenta donc d’un léger soupir avant d’enclencher les commandes automatiques et laisser le soin à Arak de reprendre leur route vers Totasia, planète sur laquelle il avait rendez-vous.
Le système solaire TOX45 était loin des grands axes de commu-nication. Totasia, son unique planète, en recueillit un bénéfice que ses habitants n’auraient jamais imaginé durant toutes ces années où ils s’étaient plaints d’être à l'écart de tout. Épargnées par le plus gros des hostilités, leurs cités avaient pu garder leur intégrité et, surtout, deux des plus importants spatioports étaient toujours en état de fonctionnement.
Six heures après son intervention auprès du vaisseau terrien, le Phoenix se posa ainsi sur un tarmac à peu près intact. Les photo-réacteurs à peine éteints, Arak érigea une défense complète autour de l’appareil. Mark secoua la tête avec amusement. Son ordinateur avait usé de tous les moyens à sa disposition. S'il avait été humain, on aurait presque pu le qualifier de paranoïaque.
Il lui fallut un temps pour relier le spatioport au bar dans lequel il avait rendez-vous. Peu touchée par le vent de folie qui secouait la galaxie, Totasia s'était peu à peu transformée en un refuge providentiel vers lequel transhumaient des flots de réfugiés. Cet accueil massif n’avait pas été sans conséquence. Ses cités étaient surpeuplées, des logements de fortune avaient poussé dans l’anarchie la plus complète et plus personne ne respectait la moindre règle de circulation.
Au milieu de cette cacophonie générale, une seule option s'imposait : prendre son mal en patience. Mark eut beaucoup de peine à s’y soumettre. Il était déjà en retard et ce temps supplémentaire avait toutes les chances de mettre un terme à son prochain contrat. Non sans grommeler tout le bien qu’il pensait de la situation, il gara sa navette devant le bar et rejoignit l’entrée à grands pas. Le sas d'accès à peine franchi, il fut assailli par les odeurs mêlées d'alcool, de tabac et de sueurs, le tout saupoudré par les braillements des clients les plus éméchés. Il accueillit ces relents d'une moue rebutée. Le coin était plus glauque encore que lors de sa dernière visite.
— Il faut vraiment que je raye ce bar de la liste, se dit-il en se frayant un passage jusqu'au comptoir.
Sa commande lancée à un patron aussi débraillé que les clients qu'il servait, il balaya deux ou trois fois l'endroit du regard, espérant repérer l'homme avec lequel il avait rendez-vous. Avec près de quatre heures de retard sur l'horaire prévu, il ne se faisait plus trop d'illusions. Ne trouvant nulle trace de celui qu'il cherchait, il eut un geste d’agacement avant de demander pour la troisième fois un Vergor d'un ton qui trahissait sa mauvaise humeur.
Enfin, le barman se décida à venir poser devant lui une bouteille accompagnée d'un verre que personne n’avait jamais dû prendre la peine de laver. Mark poussa « la chose » de côté puis s'empara de la bouteille. Une fois débouchée, il la nettoya de la paume et en but une gorgée à même le goulot. Il s'apprêtait à la reposer lorsque des éclats de voix attirèrent son attention. Ce n'était pas tant la bagarre prête à éclater que cette intonation familière qui avait éveillé sa curiosité. Cherchant à en avoir le cœur net, il se retourna à l’instant où un corps d'homme en pleine voltige le prit pour cible. Obligé d'attraper la bouteille de Vergor au vol avant qu'elle ne se fasse écraser par cette masse graisseuse et alcoolisée, il jeta un œil excédé vers le responsable de ce possible gâchis.
Son regard avait directement plongé dans celui de l'importun. La reconnaissance fut immédiate. Un sourire indéfinissable se dessina sur ses lèvres tandis qu'il faisait un petit signe militaire en guise de salut. L’homme n'eut pas le temps de répondre, contraint d’esquiver la contre-attaque de celui qu'il avait projeté contre le bar et qui s'était déjà relevé.
La bagarre devint vite générale. L'excitation et l'alcool étaient une source de propagation parfaite. Au milieu des coups qui fusaient de partout, Mark fut bien obligé de s'y soumettre, personne n’ayant songé à lui demander son avis sur la question. Sans le vouloir, il se retrouva bientôt dos à dos avec celui qui, de toute évidence, était la cause première de tout ce remue-ménage.
— Alors, patrouilleur de mon cœur, toujours en vie ? lança-t-il d'un ton railleur. Dis-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que tu es à l’origine de cette petite fiesta…
— Je n'y peux rien si j'ai horreur d'être insulté par un tas de graisse imbibé d'alcool ! répliqua Alen d'un air furieux.
— Je ne sais pas si c'est dans le profond de ta nature ou si tu le fais exprès, reprit Mark après avoir décroché un solide coup de poing à un homme qui tenait absolument à lui casser une bouteille sur la tête, mais tu as vraiment le don de te fourrer dans des situations impossibles.
— Mais je te ferais remarquer..., rétorqua Alen sur le même ton tout en esquivant une chaise volante tout à fait identifiée, que dans ces moments-là tu n’es jamais très loin !
Mark avait vu juste en parlant de « situations impossibles ». La plupart des clients du bar s’étaient ligués contre eux. Cette animosité était plus due au fait qu'Alen portait toujours son uniforme de patrouilleur qu’au poing qu’il avait balancé dans la figure d’un de leurs compagnons de beuverie. Il faut dire que personne, ici, n'avait jamais eu beaucoup d’affinités avec la Patrouille de l'espace. Le déséquilibre des forces était flagrant et, à leur place, beaucoup se seraient fait du souci. Ni l’un ni l’autre, pourtant, ne s’en préoccupa réellement. La force de l’habitude, peut-être.
La bagarre allait bon train et Mark s'amusait beaucoup. La faible pesanteur de la planète lui permettait quelques déplacements et autres acrobaties plutôt déroutants pour ceux qui tentaient de s'en prendre à lui. Cette technique de combat l'avait vite gratifié d'un avantage constant sur ses adversaires, avantage qui ne faisait que redoubler leur fureur et leur désir d’y mettre un terme.
Affirmer que tous les clients du bar s’étaient laissé emporter par l’embrasement général aurait été un mensonge. Près de la porte, un homme était resté assis à regarder la scène avec indifférence. Son évi-ente apathie avait, en soi, déjà quelque chose d’étonnant, mais le plus curieux était ailleurs. Comment ne pas relever ces deux détails ? Il portait une tenue militaire noir argenté, chose rare en ces temps troublés où l'uniforme était un véritable appel à l’agression, et son front arborait une sorte de cristal aux éclats rouge sang.
Étrange et fascinante, cette pierre incrustée au sein de sa peau n’avait rien d’un simple élément d’apparat. Grâce à elle, à des années lumières de là, quelqu'un d'autre fut en mesure d'assister aux mêmes évènements comme s’il y était.
— Qui est-ce ? demanda une voix caverneuse tandis que le corps de Cobra se projetait en trois dimensions au milieu d'une pièce sombre, très grande, de forme circulaire.
Un homme, portant lui aussi un uniforme noir argenté et un cris-tal sur le front, se tourna vers la sphère opaque d'où provenait la voix avant de considérer l'hologramme sans beaucoup d’intérêt.
— Il s'agit d'un pirate qui se fait appeler Cobra, répondit-il en-suite. Depuis la chute de l’Union, il s'est recyclé dans le mercenariat. Comme voleur, il avait une assez grosse carrure, reprit-il au bout d’un bref silence. Il a participé à la guerre contre Drassoria il y a plus d’un an. On dit qu’il a été l’une des causes de la défaite de l'empire.
— Intéressant..., murmura la voix. Très intéressant…
L'hologramme disparut tandis que la sphère reprenait ses ques-tions.
— Où en est-on avec les terriens ?
Bogus fit une moue ennuyée.
— Nous n’avons pas réussi à récupérer la première partie de l'installation. Un vaisseau est venu à leur secours alors que nous allions les aborder et nos hommes ont dû abandonner l'attaque.
— Un seul appareil a pu retourner une situation qui était pourtant en notre faveur ? répéta la voix de toute évidence agacée.
— Il ne s'agissait pas de n'importe quel vaisseau, se défendit Bo-gus. C'était le Phoenix... il appartient à Cobra.
— Décidément, ce pirate est très intéressant..., murmura la voix, songeuse. Très bien, reprit-elle ensuite d’un ton sec. Fais en sorte que ce contretemps n’empêche pas la préparation de la seconde phase des opérations. Les terriens vont bientôt transporter la plus importante partie de l'installation, alors je compte sur toi pour ne pas rater cette mission. Il nous la faut absolument. Je te préviens, je n'accepterai pas aussi facilement un nouvel échec de ta part.
Bogus s'inclina avec respect puis sortit de la salle sans plus attendre.
Encore un extrait ? par ici !
Texte soumis à la Société suisse des auteurs en 1988- Redéposé en vue d'une publication le 4 mai 2008 et le 11 avril 2010 auprès de Copyright France.
Mark suivait d'un œil distrait les effets de la vitesse sub-luminique, volutes étranges et fascinantes qui glissaient le long des parois translucides du poste de contrôle. Il avait laissé les commandes à son ordinateur de bord depuis la confirmation des coordonnées de son prochain rendez-vous. C’était le dernier moment pour compulser les données récemment intégrées dans le dossier de son futur client, mais sa concentration n’avait pu rester longtemps attachée à ce flot d’informations. Bien malgré lui, son esprit s’était mis à vagabonder au travers de mille souvenirs qui, tous, finissaient par le ramener à l'époque de la fin de la guerre avec l'empire drassorien.
Comme tout avait changé depuis, si vite. La transformation avait déjà de quoi donner le vertige, mais le plus étrange était ailleurs. Comment tout avait-il pu changer à ce point sans que personne ne puisse en expliquer les raisons ? C’était tellement irréel, impossible...
Tout avait commencé peu après la signature du traité de paix avec Drassoria. Des guerres, aussi subites qu'inattendues, avaient éclaté les unes après les autres à travers l’Union, entraînant la majeure partie de la galaxie dans une sorte de folie collective. Seuls trois Territoires avaient pu rester en dehors de ces conflits insensés. Pour les autres, quelques mois à peine suffirent pour balayer les piliers de leurs institutions les plus anciennes. Qu’ils aient été démocratiques ou impériaux, les gouvernements avaient tous fini par se dissoudre, gangrenés de l’intérieur. Dans leur déroute, ils avaient emporté les armées régulières, laissant la Patrouille de l’espace seule face à une situation inextricables. Ultime garante de l’ordre, elle fit de son mieux pour assurer sa charge, mais c’était perdu d’avance. Prise dans une spirale d’autodestruction dont elle ne comprenait la cause, elle disparut à son tour, offrant la place à un chaos absolu. Sa dictature fut féroce. Privée de sécurité, de repères, la population avait dû très vite intégrer les nouvelles règles du jeu : ne plus compter que sur soi, savoir manier une arme et tout faire pour survivre.
Né dans un univers où il valait mieux imposer le respect, le concept était, à ses yeux, plutôt anodin. Il n’y trouva d’ailleurs pas de quoi changer sa manière de vivre. Tenir les problèmes à distance lui était routinier, et puis, sa réputation s’était construite bien avant les évènements de ces derniers mois. Elle avait toujours su le précéder où qu'il se rende et personne ne s'était encore risqué à lui créer des ennuis.
Le nouveau visage de l’Union eut des répercussions bien au-delà de ses frontières, bousculant la vie de son ennemi de toujours : Les Territoires Interdits. L’univers pirate avait dû gérer dans l’urgence la transformation de sa principale source de profit en un immense champ de bataille. Vouloir poursuivre ses activités dans des Territoires en guerre était devenu une gageure, il lui avait fallu s’adapter, même contre son gré.
Comme son monde d’origine, Mark avait dû s’y faire. Il avait beau vivre marge de son clan depuis longtemps, il lui aurait été difficile d'échapper à la règle. Dès les premiers affrontements, la majeure partie des musées de la galaxie s’étaient retrouvés saccagés, pillés, vidés. Il existait des exceptions, il le savait, mais dépourvus de la plupart de leurs systèmes d'alarme, il n'y avait plus aucun « sport » à s’y mesurer. Cambrioler sans l’adrénaline du risque était trop fade pour en ressentir encore l’envie. Et puis, de toute façon, les systèmes de valeur avaient bien changé. L’accès à l’énergie et la nourriture avait remplacé bijoux, œuvres d’art et pierres précieuses aux rangs des signes extérieurs de richesse. Dès le début du conflit, ces denrées étaient devenues des matières de première nécessité extrêmement coûteuses et c’est autour d’elles que les nouveaux trafics avaient fini par se reconstituer.
Quitte à devoir changer de métier, il s’était lancé dans le mercenariat sans trop de remords après une rencontre fortuite avec quelques vieilles connaissances. Cette reconversion lui démontra très vite toute l’étendu de ses avantages. Non seulement elle lui permit de vivre assez confortablement mais, surtout, il était désormais en mesure de subvenir régulièrement tant aux besoins du Phoenix que de son ordinateur de bord. De classe I.E., cette petite merveille de la technologie bioinformatique était plutôt gourmande et il fallait assurer un apport d’énergie constant pour ne pas en être privé. C’était le prix à payer s’il voulait conserver en parfait état cet amoncellement de connexions qui était bien plus qu’une machine : c’était l’âme de son vaisseau. Parfaitement autonome, d’une puissance impressionnante et doté d’un caractère propre, Arak, puisque c’était son nom, était un atout précieux qu’il était hors de question de traiter avec légèreté.
— Je perçois l'écho d'au moins cinq appareils sur notre trajectoire. Dois-je décélérer ou changer de cap ?
Tiré des profondeurs de ses pensées, Mark jeta un vague regard vers l'écran de contrôle projeté à quelques mètres devant la console de commande. Une moue ennuyée se dessina sur son visage. Changer de cap leur ferait faire un bien grand détour pour rejoindre le lieu de son rendez-vous et décélérer le mettrait tout aussi en retard. Une rapide pesée du pour et du contre le décida finalement pour la deuxième solution.
— Ralenti..., laissa-t-il échapper dans un léger soupir.
Les étranges couleurs qui avaient jusqu'à lors enveloppé le Phoenix cédèrent peu à peu leur place à un univers net et sans bavure.
— Qu’est-ce qui les attirent comme ça ? se demanda-t-il en observant les données retransmises par le radar quadridimensionnel.
Cinq lueurs de petites tailles, probablement des chasseurs, tournoyaient comme des guêpes enragées autour d’un point plus conséquent. Autant par curiosité que par prudence, il demanda un plan rapproché de la scène. Sitôt les caméras fixées sur l'objectif, une image holographique lui offrit, comme s’il y était, une scène pourtant à plusieurs minutes de vol.
— Tu connais ce type d'appareil ? demanda-t-il, intrigué par le combat qui se déroulait sous ses yeux.
La question à peine posée, Arak superposa un sigle dans l’image trois-D.
— L'insigne de la Terre ? lança Mark avec surprise. Mais qu'est-ce qu'ils font par ici... ?
La Terre. Son Territoire était resté épargné par les guerres. Son histoire et sa position dans l’Union en était peut-être la cause. Immense, puissant, berceau de l’une des races parmi les plus anciennes des Territoires Unis et Interdits confondus, il était depuis toujours une pièce incontournable de l’échiquier galactique. Malgré cela, et parce qu’il mettait un point d’honneur à ce que cela soit ainsi, ses rapports avec les autres membres de l’Union étaient les plus rares possible.
Les yeux rivés sur l'écran trois-D, Mark se demandait non sans une certaine curiosité ce que ces terriens pouvaient bien faire hors d'un Territoire qu'ils ne quittaient pourtant presque jamais.
— D'après mes senseurs, informa Arak, ce vaisseau ne possède aucune arme défensive ou offensive et si mes calculs sont exacts, ses déflecteurs ont déjà épuisé les deux-tiers de leurs puissances.
Autant dire qu’il était perdu. Les cinq chasseurs attaquaient avec une telle hargne. La virulence de leurs assauts avait d’ailleurs de quoi intriguer. Qu'est-ce qui pouvait bien les pousser à s'en prendre ainsi à cet appareil ? Bien sûr, il venait de la Terre, mais à part cela, il ne semblait pas avoir une très grande valeur et Arak lui avait confirmé que le contenu de ses soutes était plutôt anodin.
— Allez, on y va ! ordonna-t-il finalement. Voilà une bonne semaine qu'on n’a rien fait. Un peu d'exercice ne nous fera pas de mal.
Il prit les commandes. Les deux larges accoudoirs de son siège s’étaient ouverts sur le dessus, découvrant un espace empli d’un liquide gélatineux translucide, parcouru de mille couleurs qui glissaient en son sein tels des éclairs. Il y avait laissé sombrer ses avant-bras pour poser ses mains sur des sphères émeraude qui en prirent la forme exacte à leurs contacts. Dès cet instant, il fut lié tant au vaisseau qu’à son ordinateur comme s’ils faisaient partie de son propre corps.
L’objectif repéré, il avait directement piqué sur les cinq assaillants. N’ayant pris aucune mesure de protection particulière, son approche fut vite remarquée. Trois appareils laissèrent tomber leurs attaques, prêts à faire face à cet intrus venu se mêler de leurs affaires.
Mark eut plus de mal qu'il ne l'aurait cru à se défaire de leur présence. Leurs pilotes avaient de toute évidence une grande expérience et plusieurs tirs étaient déjà venus lourdement s’écraser contre le déflecteur du Phoenix. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de laisser l’avantage à qui que ce soit. Poussant son appareil aux limites de ses capacités de résistance, il enchaîna les voltiges, bien décidé à reprendre les choses en main.
— Maintenant on va pouvoir s’amuser…, murmura-t-il d’un air satisfait en sentant la situation s’inverser.
Il aimait ces combats rapprochés, galvanisé par leur danger. L’erreur n’y avait pas sa place et les mauvaises décisions se payaient cash. Face à des adversaires aussi pugnaces qu’intelligents, il dut user de ses tactiques les plus pointues. Précis et calculateur, il les laissa s’enliser dans un engrenage dont lui seul avait la clé. Ce fut le début de leur perte. Devenu le maître du jeu, Mark les amena là où il le voulait.
— Leurs boucliers sont au minimum, confirma Arak.
Il suffisait désormais de frapper juste et fort. Les trois salves suivantes furent d’une précision mortelle, emportant leurs cibles dans une destruction intégrale.
— Pas très courageux on dirait, se dit Mark en voyant les deux derniers chasseurs décrocher sans chercher l’affrontement.
— J’ai une demande de communication, informa Arak.
— Accepte-la.
— Je ne sais comment vous remercier, fit un homme d'un certain âge dont la silhouette venait de s'inscrire sur l'écran holographique. Vous auriez pu passer votre chemin sans vous préoccuper de notre sort. Par les temps qui courent, offrir son aide est devenu bien rare… Serait-il possible de savoir à qui nous avons à faire ?
Mark sourit, amusé. Se faire traiter en sauveteur ne lui arrivait pas souvent.
— Mon nom est Cobra, répondit-il. Mais ne vous faites pas de fausses idées. Si vous aviez été armés, je ne m'en serai pas mêlé, affirma-t-il sans détour. Est-ce que vous avez besoin d’une escorte ?
— Merci de le proposer, mais ce ne sera pas la peine. Je pense que nous nous débrouillerons très bien maintenant.
— C'est comme vous voulez ! répliqua-t-il dans un haussement d'épaules avant que le terrien ne coupe la communication en lui exprimant une dernière fois toute sa reconnaissance.
L’hologramme disparu, Mark fixa le vaisseau par la paroi translucide d'un air pensif. Continuer un voyage sans arme et avec un déflecteur réduit presqu’au quart de ses capacités relevait du suicide, mais était-ce ses affaires ? Si ces gens voulaient prendre le risque, c'était leur problème. Il se contenta donc d’un léger soupir avant d’enclencher les commandes automatiques et laisser le soin à Arak de reprendre leur voyage vers Totasia, planète sur laquelle il avait rendez-vous.
Le système solaire TOX45 était loin des grands axes de communication. Totasia, son unique planète, en recueillit un bénéfice que ses habitants n’auraient jamais imaginé durant toutes ces années où ils s’étaient plaints d’être à l'écart de tout. Epargnées par le plus gros des hostilités, leurs cités avaient pu garder leur intégrité et, surtout, deux des plus gros spatioports étaient toujours en état de fonctionnement.
Six heures après son intervention auprès du vaisseau terrien, le Phoenix se posa ainsi sur un tarmac à peu près intact. Les photoréacteurs à peine éteints, Arak érigea une défense complète autour de l’appareil. Mark secoua la tête avec amusement. Son ordinateur avait usé de tous les moyens à sa disposition. S'il avait été humain, on aurait presque pu le qualifier de paranoïaque.
Il lui fallut un temps i pour relier le spatioport au le bar dans lequel il avait rendez-vous. Peu touchée par le vent de folie qui secouait la galaxie, Totasia s'était peu à peu transformée en un refuge providentiel vers lequel transhumaient des flots de réfugiés. Cet accueil massif n’avait pas été sans conséquence. Ses cités étaient surpeuplées, des logements de fortune avaient poussés dans l’anarchie la plus complète et plus personne ne respectait la moindre règle de circulation.
Au milieu de cette cacophonie générale, une seule option s'imposait : prendre son mal en patience. Mark eut beaucoup de peine à s’y soumettre. Il était déjà en retard et ce temps supplémentaire avait toutes les chances de mettre un terme à son prochain contrat. Non sans grommeler tout le bien qu’il pensait de la situation, il gara sa navette devant le bar et rejoignit l’entrée à grands pas. Le sas d'accès à peine franchi, il fut assailli par les odeurs mêlées d'alcool, de tabac et de sueurs, le tout saupoudré par les braillements des clients les plus éméchés. Il accueillit ces relents d'une moue rebutée. L’endroit était plus glauque encore que lors de son dernier passage.
— Il faut vraiment que je raye ce bar de la liste, se dit-il en se frayant un passage jusqu'au bar.
Sa commande lancée à un patron aussi débraillé que les clients qu'il servait, il balaya deux ou trois fois l'endroit du regard, cherchant à repérer l'homme avec lequel il avait rendez-vous. Avec près de quatre heures de retard sur l'horaire prévu, il ne se faisait plus trop d'illusions, mais on ne savait jamais. Ce maigre espoir ne fut suivi d'aucune justification. Ne trouvant nulle trace de celui qu'il cherchait, il eut un geste d’agacement avant de demander pour la troisième fois un Vergor d'un ton qui trahissait sa mauvaise humeur.
Enfin, le barman se décida à venir poser devant lui une bouteille accompagnée d'un verre que personne n’avait jamais dû prendre la peine de nettoyer. Mark poussa « la chose » de côté puis s'empara de la bouteille. Une fois débouchée, il la nettoya de la paume et en but une gorgée à même le goulot. Il s'apprêtait à la reposer sur le comptoir lorsque son attention fut attirée par des éclats de voix. Ce n'était pas tant la bagarre prête à éclater que cette intonation familière qui avait éveillé sa curiosité. Il venait juste de se retourner pour en avoir le cœur net lorsque le corps d'un homme voltigea dans sa direction. Obligé d'attraper la bouteille de Vergor au vol avant qu'elle ne se fasse écraser par cette masse graisseuse et alcoolisée, il jeta un œil excédé vers le responsable de ce possible gâchis.
Son regard avait directement plongé dans celui de l'importun. La reconnaissance fut immédiate. Un sourire indéfinissable se dessina sur ses lèvres tandis qu'il faisait un petit signe militaire en guise de salut. L’homme n'eut pas le temps de répondre, contraint d’esquiver la contre-attaque de celui qu'il avait projeté contre le bar et qui s'était déjà relevé.
La bagarre devint vite générale. L'excitation et l'alcool étaient une source de propagation parfaite. Au milieu des coups qui fusaient de partout, Mark fut bien obligé de s'y soumettre, personne n’ayant songé à lui demander son avis sur la question. Sans le vouloir, il se retrouva bientôt dos-à-dos avec celui qui, de toute évidence, était la cause première de tout se remue-ménage.
— Alors patrouilleur de mon cœur, toujours en vie ? lança-t-il d'un ton railleur. Dis-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que tu es à l’origine de cette petite fiesta….
— Je n'y peux rien si j'ai horreur d'être insulté par un tas de graisse imbibé d'alcool ! répliqua Alen d'un ton furieux.
— Je ne sais pas si c'est dans le profond de ta nature ou si tu le fais exprès, reprit Mark après avoir décroché un solide coup de poing à un homme qui tenait absolument à lui casser une bouteille sur la tête, mais tu as vraiment le coup pour te fourrer dans des situations impossibles.
— Mais je te ferais remarquer..., rétorqua Alen sur le même ton tout en esquivant une chaise volante tout à fait identifiée, que dans ces moments-là tu n’es jamais très loin !
Mark avait vu juste en parlant de "situations impossibles". La plupart des clients du bar s’étaient ligués contre eux. Cette animosité était plus due au fait qu'Alen porte toujours son uniforme de patrouilleur qu’au poing qu’il avait balancé dans la figure d’un de leurs compagnons de beuverie. Il faut dire que personne, ici, n'avait jamais porté la Patrouille de l'espace dans son cœur. Le déséquilibre des forces était flagrant et, à leur place, beaucoup se seraient fait du souci. Ni l’un ni l’autre, pourtant, ne s’en préoccupa réellement. La force de l’habitude, peut-être.
La bagarre allait bon train et Mark s'amusait beaucoup. La faible pesanteur de la planète lui permettait quelques déplacements et autres acrobaties plutôt déroutants pour ceux qui tentaient de s'en prendre à lui. Cette technique de combat l'avait vite gratifié d'un avantage constant sur ses adversaires, avantage qui ne faisait que redoubler leur fureur et leur désir d’y mettre un terme.
Affirmer que tous les clients du bar s’étaient laissé emporter par l’embrasement général aurait été un mensonge. Près de la porte, un homme était resté assis à regarder la scène avec indifférence. Son évidente apathie avait, en soit, déjà quelque chose d’étonnant, mais le plus curieux était ailleurs. Comment ne pas relever ces deux détails ? Il portait une tenue militaire noir-argent, chose rare en ces temps troublés où l'uniforme était un véritable appel à l’agression, et son front arborait une sorte de cristal aux éclats rouge sang.
Etrange et fascinante, cette pierre incrustée au sein de sa peau n’avait rien d’un simple élément d’apparat. Grâce à elle, à des années lumières de là, quelqu'un d'autre fut en mesure d'assister aux mêmes évènements comme s’il y était.
— Qui est-ce ? demanda une voix caverneuse tandis que le corps de Cobra se projetait en trois dimensions au-milieu d'une pièce sombre, très grande, de forme circulaire.
Un homme, portant lui aussi un uniforme noir-argent et un cristal sur le front, se tourna vers la sphère opaque d'où provenait la voix avant de considérer l'hologramme sans grand intérêt.
— Il s'agit d'un pirate qui se fait appeler Cobra, répondit-il ensuite. Depuis les guerres, il s'est recyclé dans le mercenariat. Comme voleur, il avait une assez grosse carrure, reprit-il au bout d’un bref silence. Il a participé à la guerre contre Drassoria il y a plus d’un an. On dit qu’il a été l’une des causes la défaite de l'empire.
— Intéressant..., murmura la voix. Très intéressant…
L'hologramme disparut tandis que la sphère reprenait ses questions.
— Où en est-on avec les terriens ?
Bogus fit une moue ennuyée.
— Nous n’avons pas réussi à récupérer la première partie de l'installation. Un vaisseau est venu à leur secours alors que nous allions les aborder et nos hommes ont dû abandonner l'attaque.
— Un seul vaisseau a pu retourner une situation qui était pourtant en notre faveur ? répéta la voix de toute évidence agacée.
— Il ne s'agissait pas de n'importe quel appareil, se défendit Bogus. C'était le Phoenix,...il appartient à Cobra.
— Décidément, ce pirate est très intéressant..., murmura la voix, songeuse. Très bien, reprit-elle ensuite d’un ton sec. Fais en sorte que ce contretemps n’empêche pas la préparation la seconde phase des opérations. Les terriens vont bientôt transporter la plus importante partie de l'installation, alors je compte sur toi pour ne pas rater cette mission. Il nous la faut absolument. Je te préviens, je n'accepterai pas aussi facilement un nouvel échec de ta part.
Bogus s'inclina avec respect puis sortit de la salle sans plus attendre.
Comme tout avait changé depuis, si vite. La transformation avait déjà de quoi donner le vertige, mais le plus étrange était ailleurs. Comment tout avait-il pu changer à ce point sans que personne ne puisse en expliquer les raisons ? C’était tellement irréel, impossible...
Tout avait commencé peu après la signature du traité de paix avec Drassoria. Des guerres, aussi subites qu'inattendues, avaient éclaté les unes après les autres à travers l’Union, entraînant la majeure partie de la galaxie dans une sorte de folie collective. Seuls trois Territoires avaient pu rester en dehors de ces conflits insensés. Pour les autres, quelques mois à peine suffirent pour balayer les piliers de leurs institutions les plus anciennes. Qu’ils aient été démocratiques ou impériaux, les gouvernements avaient tous fini par se dissoudre, gangrenés de l’intérieur. Dans leur déroute, ils avaient emporté les armées régulières, laissant la Patrouille de l’espace seule face à une situation inextricables. Ultime garante de l’ordre, elle fit de son mieux pour assurer sa charge, mais c’était perdu d’avance. Prise dans une spirale d’autodestruction dont elle ne comprenait la cause, elle disparut à son tour, offrant la place à un chaos absolu. Sa dictature fut féroce. Privée de sécurité, de repères, la population avait dû très vite intégrer les nouvelles règles du jeu : ne plus compter que sur soi, savoir manier une arme et tout faire pour survivre.
Né dans un univers où il valait mieux imposer le respect, le concept était, à ses yeux, plutôt anodin. Il n’y trouva d’ailleurs pas de quoi changer sa manière de vivre. Tenir les problèmes à distance lui était routinier, et puis, sa réputation s’était construite bien avant les évènements de ces derniers mois. Elle avait toujours su le précéder où qu'il se rende et personne ne s'était encore risqué à lui créer des ennuis.
Le nouveau visage de l’Union eut des répercussions bien au-delà de ses frontières, bousculant la vie de son ennemi de toujours : Les Territoires Interdits. L’univers pirate avait dû gérer dans l’urgence la transformation de sa principale source de profit en un immense champ de bataille. Vouloir poursuivre ses activités dans des Territoires en guerre était devenu une gageure, il lui avait fallu s’adapter, même contre son gré.
Comme son monde d’origine, Mark avait dû s’y faire. Il avait beau vivre marge de son clan depuis longtemps, il lui aurait été difficile d'échapper à la règle. Dès les premiers affrontements, la majeure partie des musées de la galaxie s’étaient retrouvés saccagés, pillés, vidés. Il existait des exceptions, il le savait, mais dépourvus de la plupart de leurs systèmes d'alarme, il n'y avait plus aucun « sport » à s’y mesurer. Cambrioler sans l’adrénaline du risque était trop fade pour en ressentir encore l’envie. Et puis, de toute façon, les systèmes de valeur avaient bien changé. L’accès à l’énergie et la nourriture avait remplacé bijoux, œuvres d’art et pierres précieuses aux rangs des signes extérieurs de richesse. Dès le début du conflit, ces denrées étaient devenues des matières de première nécessité extrêmement coûteuses et c’est autour d’elles que les nouveaux trafics avaient fini par se reconstituer.
Quitte à devoir changer de métier, il s’était lancé dans le mercenariat sans trop de remords après une rencontre fortuite avec quelques vieilles connaissances. Cette reconversion lui démontra très vite toute l’étendu de ses avantages. Non seulement elle lui permit de vivre assez confortablement mais, surtout, il était désormais en mesure de subvenir régulièrement tant aux besoins du Phoenix que de son ordinateur de bord. De classe I.E., cette petite merveille de la technologie bioinformatique était plutôt gourmande et il fallait assurer un apport d’énergie constant pour ne pas en être privé. C’était le prix à payer s’il voulait conserver en parfait état cet amoncellement de connexions qui était bien plus qu’une machine : c’était l’âme de son vaisseau. Parfaitement autonome, d’une puissance impressionnante et doté d’un caractère propre, Arak, puisque c’était son nom, était un atout précieux qu’il était hors de question de traiter avec légèreté.
— Je perçois l'écho d'au moins cinq appareils sur notre trajectoire. Dois-je décélérer ou changer de cap ?
Tiré des profondeurs de ses pensées, Mark jeta un vague regard vers l'écran de contrôle projeté à quelques mètres devant la console de commande. Une moue ennuyée se dessina sur son visage. Changer de cap leur ferait faire un bien grand détour pour rejoindre le lieu de son rendez-vous et décélérer le mettrait tout aussi en retard. Une rapide pesée du pour et du contre le décida finalement pour la deuxième solution.
— Ralenti..., laissa-t-il échapper dans un léger soupir.
Les étranges couleurs qui avaient jusqu'à lors enveloppé le Phoenix cédèrent peu à peu leur place à un univers net et sans bavure.
— Qu’est-ce qui les attirent comme ça ? se demanda-t-il en observant les données retransmises par le radar quadridimensionnel.
Cinq lueurs de petites tailles, probablement des chasseurs, tournoyaient comme des guêpes enragées autour d’un point plus conséquent. Autant par curiosité que par prudence, il demanda un plan rapproché de la scène. Sitôt les caméras fixées sur l'objectif, une image holographique lui offrit, comme s’il y était, une scène pourtant à plusieurs minutes de vol.
— Tu connais ce type d'appareil ? demanda-t-il, intrigué par le combat qui se déroulait sous ses yeux.
La question à peine posée, Arak superposa un sigle dans l’image trois-D.
— L'insigne de la Terre ? lança Mark avec surprise. Mais qu'est-ce qu'ils font par ici... ?
La Terre. Son Territoire était resté épargné par les guerres. Son histoire et sa position dans l’Union en était peut-être la cause. Immense, puissant, berceau de l’une des races parmi les plus anciennes des Territoires Unis et Interdits confondus, il était depuis toujours une pièce incontournable de l’échiquier galactique. Malgré cela, et parce qu’il mettait un point d’honneur à ce que cela soit ainsi, ses rapports avec les autres membres de l’Union étaient les plus rares possible.
Les yeux rivés sur l'écran trois-D, Mark se demandait non sans une certaine curiosité ce que ces terriens pouvaient bien faire hors d'un Territoire qu'ils ne quittaient pourtant presque jamais.
— D'après mes senseurs, informa Arak, ce vaisseau ne possède aucune arme défensive ou offensive et si mes calculs sont exacts, ses déflecteurs ont déjà épuisé les deux-tiers de leurs puissances.
Autant dire qu’il était perdu. Les cinq chasseurs attaquaient avec une telle hargne. La virulence de leurs assauts avait d’ailleurs de quoi intriguer. Qu'est-ce qui pouvait bien les pousser à s'en prendre ainsi à cet appareil ? Bien sûr, il venait de la Terre, mais à part cela, il ne semblait pas avoir une très grande valeur et Arak lui avait confirmé que le contenu de ses soutes était plutôt anodin.
— Allez, on y va ! ordonna-t-il finalement. Voilà une bonne semaine qu'on n’a rien fait. Un peu d'exercice ne nous fera pas de mal.
Il prit les commandes. Les deux larges accoudoirs de son siège s’étaient ouverts sur le dessus, découvrant un espace empli d’un liquide gélatineux translucide, parcouru de mille couleurs qui glissaient en son sein tels des éclairs. Il y avait laissé sombrer ses avant-bras pour poser ses mains sur des sphères émeraude qui en prirent la forme exacte à leurs contacts. Dès cet instant, il fut lié tant au vaisseau qu’à son ordinateur comme s’ils faisaient partie de son propre corps.
L’objectif repéré, il avait directement piqué sur les cinq assaillants. N’ayant pris aucune mesure de protection particulière, son approche fut vite remarquée. Trois appareils laissèrent tomber leurs attaques, prêts à faire face à cet intrus venu se mêler de leurs affaires.
Mark eut plus de mal qu'il ne l'aurait cru à se défaire de leur présence. Leurs pilotes avaient de toute évidence une grande expérience et plusieurs tirs étaient déjà venus lourdement s’écraser contre le déflecteur du Phoenix. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de laisser l’avantage à qui que ce soit. Poussant son appareil aux limites de ses capacités de résistance, il enchaîna les voltiges, bien décidé à reprendre les choses en main.
— Maintenant on va pouvoir s’amuser…, murmura-t-il d’un air satisfait en sentant la situation s’inverser.
Il aimait ces combats rapprochés, galvanisé par leur danger. L’erreur n’y avait pas sa place et les mauvaises décisions se payaient cash. Face à des adversaires aussi pugnaces qu’intelligents, il dut user de ses tactiques les plus pointues. Précis et calculateur, il les laissa s’enliser dans un engrenage dont lui seul avait la clé. Ce fut le début de leur perte. Devenu le maître du jeu, Mark les amena là où il le voulait.
— Leurs boucliers sont au minimum, confirma Arak.
Il suffisait désormais de frapper juste et fort. Les trois salves suivantes furent d’une précision mortelle, emportant leurs cibles dans une destruction intégrale.
— Pas très courageux on dirait, se dit Mark en voyant les deux derniers chasseurs décrocher sans chercher l’affrontement.
— J’ai une demande de communication, informa Arak.
— Accepte-la.
— Je ne sais comment vous remercier, fit un homme d'un certain âge dont la silhouette venait de s'inscrire sur l'écran holographique. Vous auriez pu passer votre chemin sans vous préoccuper de notre sort. Par les temps qui courent, offrir son aide est devenu bien rare… Serait-il possible de savoir à qui nous avons à faire ?
Mark sourit, amusé. Se faire traiter en sauveteur ne lui arrivait pas souvent.
— Mon nom est Cobra, répondit-il. Mais ne vous faites pas de fausses idées. Si vous aviez été armés, je ne m'en serai pas mêlé, affirma-t-il sans détour. Est-ce que vous avez besoin d’une escorte ?
— Merci de le proposer, mais ce ne sera pas la peine. Je pense que nous nous débrouillerons très bien maintenant.
— C'est comme vous voulez ! répliqua-t-il dans un haussement d'épaules avant que le terrien ne coupe la communication en lui exprimant une dernière fois toute sa reconnaissance.
L’hologramme disparu, Mark fixa le vaisseau par la paroi translucide d'un air pensif. Continuer un voyage sans arme et avec un déflecteur réduit presqu’au quart de ses capacités relevait du suicide, mais était-ce ses affaires ? Si ces gens voulaient prendre le risque, c'était leur problème. Il se contenta donc d’un léger soupir avant d’enclencher les commandes automatiques et laisser le soin à Arak de reprendre leur voyage vers Totasia, planète sur laquelle il avait rendez-vous.
Le système solaire TOX45 était loin des grands axes de communication. Totasia, son unique planète, en recueillit un bénéfice que ses habitants n’auraient jamais imaginé durant toutes ces années où ils s’étaient plaints d’être à l'écart de tout. Epargnées par le plus gros des hostilités, leurs cités avaient pu garder leur intégrité et, surtout, deux des plus gros spatioports étaient toujours en état de fonctionnement.
Six heures après son intervention auprès du vaisseau terrien, le Phoenix se posa ainsi sur un tarmac à peu près intact. Les photoréacteurs à peine éteints, Arak érigea une défense complète autour de l’appareil. Mark secoua la tête avec amusement. Son ordinateur avait usé de tous les moyens à sa disposition. S'il avait été humain, on aurait presque pu le qualifier de paranoïaque.
Il lui fallut un temps i pour relier le spatioport au le bar dans lequel il avait rendez-vous. Peu touchée par le vent de folie qui secouait la galaxie, Totasia s'était peu à peu transformée en un refuge providentiel vers lequel transhumaient des flots de réfugiés. Cet accueil massif n’avait pas été sans conséquence. Ses cités étaient surpeuplées, des logements de fortune avaient poussés dans l’anarchie la plus complète et plus personne ne respectait la moindre règle de circulation.
Au milieu de cette cacophonie générale, une seule option s'imposait : prendre son mal en patience. Mark eut beaucoup de peine à s’y soumettre. Il était déjà en retard et ce temps supplémentaire avait toutes les chances de mettre un terme à son prochain contrat. Non sans grommeler tout le bien qu’il pensait de la situation, il gara sa navette devant le bar et rejoignit l’entrée à grands pas. Le sas d'accès à peine franchi, il fut assailli par les odeurs mêlées d'alcool, de tabac et de sueurs, le tout saupoudré par les braillements des clients les plus éméchés. Il accueillit ces relents d'une moue rebutée. L’endroit était plus glauque encore que lors de son dernier passage.
— Il faut vraiment que je raye ce bar de la liste, se dit-il en se frayant un passage jusqu'au bar.
Sa commande lancée à un patron aussi débraillé que les clients qu'il servait, il balaya deux ou trois fois l'endroit du regard, cherchant à repérer l'homme avec lequel il avait rendez-vous. Avec près de quatre heures de retard sur l'horaire prévu, il ne se faisait plus trop d'illusions, mais on ne savait jamais. Ce maigre espoir ne fut suivi d'aucune justification. Ne trouvant nulle trace de celui qu'il cherchait, il eut un geste d’agacement avant de demander pour la troisième fois un Vergor d'un ton qui trahissait sa mauvaise humeur.
Enfin, le barman se décida à venir poser devant lui une bouteille accompagnée d'un verre que personne n’avait jamais dû prendre la peine de nettoyer. Mark poussa « la chose » de côté puis s'empara de la bouteille. Une fois débouchée, il la nettoya de la paume et en but une gorgée à même le goulot. Il s'apprêtait à la reposer sur le comptoir lorsque son attention fut attirée par des éclats de voix. Ce n'était pas tant la bagarre prête à éclater que cette intonation familière qui avait éveillé sa curiosité. Il venait juste de se retourner pour en avoir le cœur net lorsque le corps d'un homme voltigea dans sa direction. Obligé d'attraper la bouteille de Vergor au vol avant qu'elle ne se fasse écraser par cette masse graisseuse et alcoolisée, il jeta un œil excédé vers le responsable de ce possible gâchis.
Son regard avait directement plongé dans celui de l'importun. La reconnaissance fut immédiate. Un sourire indéfinissable se dessina sur ses lèvres tandis qu'il faisait un petit signe militaire en guise de salut. L’homme n'eut pas le temps de répondre, contraint d’esquiver la contre-attaque de celui qu'il avait projeté contre le bar et qui s'était déjà relevé.
La bagarre devint vite générale. L'excitation et l'alcool étaient une source de propagation parfaite. Au milieu des coups qui fusaient de partout, Mark fut bien obligé de s'y soumettre, personne n’ayant songé à lui demander son avis sur la question. Sans le vouloir, il se retrouva bientôt dos-à-dos avec celui qui, de toute évidence, était la cause première de tout se remue-ménage.
— Alors patrouilleur de mon cœur, toujours en vie ? lança-t-il d'un ton railleur. Dis-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que tu es à l’origine de cette petite fiesta….
— Je n'y peux rien si j'ai horreur d'être insulté par un tas de graisse imbibé d'alcool ! répliqua Alen d'un ton furieux.
— Je ne sais pas si c'est dans le profond de ta nature ou si tu le fais exprès, reprit Mark après avoir décroché un solide coup de poing à un homme qui tenait absolument à lui casser une bouteille sur la tête, mais tu as vraiment le coup pour te fourrer dans des situations impossibles.
— Mais je te ferais remarquer..., rétorqua Alen sur le même ton tout en esquivant une chaise volante tout à fait identifiée, que dans ces moments-là tu n’es jamais très loin !
Mark avait vu juste en parlant de "situations impossibles". La plupart des clients du bar s’étaient ligués contre eux. Cette animosité était plus due au fait qu'Alen porte toujours son uniforme de patrouilleur qu’au poing qu’il avait balancé dans la figure d’un de leurs compagnons de beuverie. Il faut dire que personne, ici, n'avait jamais porté la Patrouille de l'espace dans son cœur. Le déséquilibre des forces était flagrant et, à leur place, beaucoup se seraient fait du souci. Ni l’un ni l’autre, pourtant, ne s’en préoccupa réellement. La force de l’habitude, peut-être.
La bagarre allait bon train et Mark s'amusait beaucoup. La faible pesanteur de la planète lui permettait quelques déplacements et autres acrobaties plutôt déroutants pour ceux qui tentaient de s'en prendre à lui. Cette technique de combat l'avait vite gratifié d'un avantage constant sur ses adversaires, avantage qui ne faisait que redoubler leur fureur et leur désir d’y mettre un terme.
Affirmer que tous les clients du bar s’étaient laissé emporter par l’embrasement général aurait été un mensonge. Près de la porte, un homme était resté assis à regarder la scène avec indifférence. Son évidente apathie avait, en soit, déjà quelque chose d’étonnant, mais le plus curieux était ailleurs. Comment ne pas relever ces deux détails ? Il portait une tenue militaire noir-argent, chose rare en ces temps troublés où l'uniforme était un véritable appel à l’agression, et son front arborait une sorte de cristal aux éclats rouge sang.
Etrange et fascinante, cette pierre incrustée au sein de sa peau n’avait rien d’un simple élément d’apparat. Grâce à elle, à des années lumières de là, quelqu'un d'autre fut en mesure d'assister aux mêmes évènements comme s’il y était.
— Qui est-ce ? demanda une voix caverneuse tandis que le corps de Cobra se projetait en trois dimensions au-milieu d'une pièce sombre, très grande, de forme circulaire.
Un homme, portant lui aussi un uniforme noir-argent et un cristal sur le front, se tourna vers la sphère opaque d'où provenait la voix avant de considérer l'hologramme sans grand intérêt.
— Il s'agit d'un pirate qui se fait appeler Cobra, répondit-il ensuite. Depuis les guerres, il s'est recyclé dans le mercenariat. Comme voleur, il avait une assez grosse carrure, reprit-il au bout d’un bref silence. Il a participé à la guerre contre Drassoria il y a plus d’un an. On dit qu’il a été l’une des causes la défaite de l'empire.
— Intéressant..., murmura la voix. Très intéressant…
L'hologramme disparut tandis que la sphère reprenait ses questions.
— Où en est-on avec les terriens ?
Bogus fit une moue ennuyée.
— Nous n’avons pas réussi à récupérer la première partie de l'installation. Un vaisseau est venu à leur secours alors que nous allions les aborder et nos hommes ont dû abandonner l'attaque.
— Un seul vaisseau a pu retourner une situation qui était pourtant en notre faveur ? répéta la voix de toute évidence agacée.
— Il ne s'agissait pas de n'importe quel appareil, se défendit Bogus. C'était le Phoenix,...il appartient à Cobra.
— Décidément, ce pirate est très intéressant..., murmura la voix, songeuse. Très bien, reprit-elle ensuite d’un ton sec. Fais en sorte que ce contretemps n’empêche pas la préparation la seconde phase des opérations. Les terriens vont bientôt transporter la plus importante partie de l'installation, alors je compte sur toi pour ne pas rater cette mission. Il nous la faut absolument. Je te préviens, je n'accepterai pas aussi facilement un nouvel échec de ta part.
Bogus s'inclina avec respect puis sortit de la salle sans plus attendre.